Hyperdémocratie

“Nous assistons aujourd’hui à l’emballement des grandes idées démocratiques de liberté et d’égalité, avec le passage de la démocratie à l’hyperdémocratie. Le grand principe d’égalité a cessé de régir seulement le domaine politique pour s’emparer de tous les domaines de l’existence. Si nous sommes tous égaux, l’idée de valeur sombre dans l’équivalence. Le jugement est comme frappé d’interdit. Or, je pense que la culture n’est rien d’autre que l’art de juger.” ~ Alain Finkielkraut  [Source]

“Indispensable Finkielkraut” – Louis Cornellier

Indispensable Finkielkraut

Le Devoir – 21 novembre 2015 – Louis Cornellier

À gauche, le philosophe Alain Finkielkraut n’a plus bonne presse. Le 12 novembre dernier, sur le site BibliObs, l’impénitent maoïste Alain Badiou l’accusait de faire partie de ceux qui se livrent au « culte mortifère […] des identités nationales, voire, dans votre cas, “ ethniques ”, ce qui est pire » et d’être un partisan des colonies juives en Palestine. Ces deux accusations sont injustes.

Dans La seule exactitude, le recueil de chroniques qu’il vient de publier, Finkielkraut écrit noir sur blanc que « nul n’est par essence ou par fatalité étranger à l’urbanité française » et que si l’État d’Israël a raison de se défendre contre le Hamas, « il a eu le grand tort d’annexer quatre cents hectares en Cisjordanie pour apaiser une extrême droite insatisfaite de l’issue mitigée de la guerre [de 2014] ». Les accusations gratuites de Badiou sont révélatrices d’un phénomène : une certaine gauche ne lit plus Finkielkraut ; elle se contente de le dénoncer. C’est indigne et bien dommage. Continuer la lecture de “Indispensable Finkielkraut” – Louis Cornellier

Finkielkraut : «Nous vivons la fin de la fin de l’Histoire»

Alain Finkielkraut : «Nous vivons la fin de la fin de l’Histoire»

Alain Finkielkraut

Le Figaro – Par Vincent Tremolet de Villers – Publié le 20 novembre 2015

INTERVIEW EXCLUSIVE – Une semaine après le carnage du 13 novembre, le philosophe exprime son accablement et son inquiétude devant la confirmation du retour violent d’une Histoire qui «n’est pas belle à voir». Il s’élève contre «l’ethnocentrisme de la mauvaise conscience de l’Occident».

Sa parole exigeante trouve un écho profond dans l’inconscient collectif. Comme il est écouté, comme il est lu, il est régulièrement qualifié de «populiste», en tête de la nuée des «oiseaux de malheurs». Ces intellectuels que certains voulaient faire taire quand il fallait, plus que jamais, les entendre. Dans La Seule Exactitude, son dernier ouvrage, Alain Finkielkraut intitule son chapitre consacré aux attentats de Copenhague (en février 2015) «Le tragique de répétition».

Une semaine après les attentats du 13 novembre, le philosophe espère qu’un sursaut national permettra à la France de vaincre l’État islamique en Irak et en Syrie et de reprendre les territoires qui, sur notre sol, sont déjà entrés en sécession culturelle.

LE FIGARO. – Dix mois après les attentats des 7, 8 et 9 janvier, Paris et sa banlieue ont été le théâtre de scènes de guerre. Cent trente personnes sont mortes. On compte des centaines de blessés. Le pays est traumatisé. Le mot «guerre» est sur toutes les lèvres. Quel sentiment prime chez vous: le chagrin, l’inquiétude ou la colère?

Alain FINKIELKRAUT. – Ce qui domine en moi, c’est l’accablement et même le désespoir. Comme le rappelait dans ces colonnes Jean-Pierre Le Goff, la disparition des grandes idéologies avait pu laisser croire à l’avènement d’un monde unifié et pacifié sous la triple modalité de l’économie de marché, d’Internet et des droits de l’homme. Cette illusion se dissipe brutalement : nous vivons la fin de la fin de l’Histoire. L’Histoire fait son retour dans un pays et sur un continent qui se croyaient définitivement hors d’atteinte. Et cette Histoire n’est pas belle à voir. Ce n’est pas la réalisation triomphale de l’esprit décrite par Hegel. Ce n’est pas le grand récit palpitant de l’émancipation universelle. Ce n’est pas le progrès de l’humanité jusqu’à son accomplissement final. Ce n’est pas, entre guerre d’Espagne et 2e DB, la geste héroïque rêvée par Régis Debray et tant d’autres. Bref, ce n’est pas Madame H. (1), c’est l’Histoire avec une grande hache, qui, au titre de «croisés», d’«impies» ou d’«idolâtres», peut nous faucher n’importe où, à tout moment, quels que soient notre âge, notre sexe, notre profession ou notre appartenance. Les spectateurs du Bataclan et les clients de La Bonne Bière, de La Belle Équipe, du Carillon et du Petit Cambodge ne portaient pas d’uniforme. Ils ne militaient pour aucune cause, ils ne remplissaient aucun mandat. Ils buvaient un coup, ils partageaient un repas, ils écoutaient un concert : ils ont pourtant été tués. Nous avons beau vivre en démocratie, le totalitarisme de l’Histoire est désormais notre lot. Totalitarisme, en effet, car, loin d’accoucher de la liberté, la violence qui se déchaîne est une calamité sans échappatoire, un fléau auquel personne n’est libre de se soustraire. Envolée comme promesse, l’Histoire ressurgit comme destin et nous dépouille pour longtemps de notre droit à l’insouciance. Pour résumer le bonheur parfait, les Juifs d’Europe centrale disaient : «Wie Gott in Frankreich.» Selon Saul Bellow, cette expression signifie que «Dieu serait parfaitement heureux en France parce qu’il ne serait pas dérangé par les prières, rites, bénédictions et demandes d’interprétation de délicates questions diététiques. Environné d’incroyants, Lui aussi pourrait se détendre le soir venu tout comme des milliers de Parisiens dans leur café préféré. Peu de choses sont plus agréables, plus civilisées qu’une terrasse tranquille au crépuscule.» Paris était «la ville sainte de la laïcité», mais les massacres du 13 novembre ont fait le malheur de Dieu. Continuer la lecture de Finkielkraut : «Nous vivons la fin de la fin de l’Histoire»

Finkielkraut – Polony, novembre 2015

Alain Finkielkraut – Natacha Polony – Polonium, Paris Première, 13 novembre 2015

  • “Mon effort, est un effort philosophique, parce que j’essaye de diagnostiquer le présent. Le présent, en tant qu’il ne s’est jamais présenté, en tant qu’il est différent de ce qui est autre que lui-même, c’est à dire le passé.”
  • “Je suis absolument d’accord avec vous, la nation doit être une unité englobante, et cela veut dire bien entendu que “l’autre” n’est pas simplement à respecter, il est aussi et surtout à intégrer. L’assimilation, pour moi, ce n’était pas l’obligation qui m’était faite en tant que Juif de sacrifier ma différence, c’était la possibilité qui m’était donnée d’assimiler cette culture française, et après tout, cette possibilité aujourd’hui est refusée aux français de fraîche date, comme au français de souche, puisque cette culture française n’est plus au programme de personne. La France était un vieux monde dans lequel on introduisait tous les nouveaux venus que sont les enfants, et maintenant, de ce vieux monde on veut en quelque sorte se débarrasser, on liquide l’héritage pour mettre tout le monde à égalité.”
  • “J’ai le goût de l’analyse. Je pense que pour empêcher le désastre, il faut faire face au désastre. (…) Je suis absolument convaincu que beaucoup de gens veulent une école exigeante et que si des familles soustraient aujourd’hui leurs enfants à l’école publique, c’est pour précisément trouver la rigueur de l’école républicaine ailleurs qu’à l’école publique parce qu’ils ne l’y trouvent plus. Je plaide pour cette lucidité de la part des politiques, tout n’est pas perdu sauf si on continue de fermer les yeux sur le désastre.”
  • “On pouvait parler de progrès tant qu’on se plaçait dans la perspective d’un temps prometteur. Aujourd’hui l’avenir n’est pas prometteur, il est menaçant. Et plus il est menaçant, moins on a le droit de regarder en arrière, la nostalgie est criminalisée, et je ne plaide pas pour un retour en arrière, mais je m’étonne, si vous voulez, de voir ces progressistes devenir si hargneux depuis que tout le monde est veuf de l’idée même de progrès.”
  • “Cette immédiateté technologique, qui ne laisse même pas de place au deuil et à ce que le deuil a d’intime et de privé. On est vraiment dans l’univers de Facebook où tout s’affiche tout de suite, où même la souffrance devient un moment d’exhibition.”